P.-Y. Donzé: Histoire du Swatch Group

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Titel
Histoire du Swatch Group.


Autor(en)
Donzé, Pierre-Yves
Reihe
Focus 10
Erschienen
Neuchâtel 2012: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
141 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Johann Boillat

Il est toujours périlleux pour un historien de s'attaquer à l'immédiateté. Ce constat est d'autant plus affirmé que Pierre-Yves Donzé s'intéresse à un objet d'étude jusqu'ici délaissé par la recherche.

L'auteur s'est tourné vers le peu de sources accessibles : les statistiques du commerce horloger publiées tant par la Fédération de l'industrie horlogère suisse (FH) que par les autres nations impliquées dans le développement du secteur depuis une quinzaine d'années (Chine, Japon ou encore Etats-Unis d’Amérique), à quoi s'ajoutent les rapports annuels des principaux groupes horlogers du moment. Au final, le pari est réussi, non sans toutefois parvenir à éliminer définitivement certaines interrogations.

Agencé en dix chapitres, à la lecture le plus souvent fluide, l'Histoire du Swatch Group aborde l'origine de la création de la holding biennoise, sa restructuration interne dans les années 1980 et sa réorientation externe à partir des années 1990. Posant le diagnostic d'une industrie horlogère helvétique incapable de procéder à la rationalisation de son parc industriel permettant la production massive de montres de qualité, l'historien bat en brèche l'idée, par trop répandue selon lui, selon laquelle la révolution du quartz est à l'origine de la crise des années 1970 (pp. 21-31). Dans ce contexte, l'auteur présente les principales étapes de la création du Swatch Group et y attache celles de son produit phare, la Swatch (pp. 32-47). Par la suite, il passe en revue les principales mesures de rationalisation et de globalisation prises par la multinationale seelandaise, entraînant une augmentation de la productivité (pp. 48-65). Pierre-Yves Donzé présente les tenants et les aboutissants des tendances lourdes du groupe suite au renouvellement du conseil d'administration : redéfinition de la stratégie communicationnelle, construction d'une identité industrielle propre aux marques, positionnement assumé sur les marchés du luxe, création de réseaux de distribution spécifiques aux produits (pp. 73-96). La démonstration se termine par une double exemplification : celle d'une enseigne (Omega, pp. 97-105) et celle d'un marché (la Chine, pp. 106-115), mettant en exergue les conflits qui se cristallisent autour des groupes concurrents tels Richemont et LVMH (pp. 116-127). Malgré ce panorama séduisant, plusieurs questions d’ordre conceptuel et factuel restent en suspens : autant de développements qui imposeraient de dépasser le cadre des 141 pages dictées par la ligne éditoriale.

Au niveau conceptuel tout d’abord, deux paramètres peuvent être évoqués. Premièrement, on s'étonne de ne pas trouver de références au cadre historique proposé par Gerhard Schnyder (et al) montrant qu'à partir du dernier quart du XXe siècle, le rôle des administrateurs dans les grandes entreprises helvétiques se modifie sous les coups de boutoir du processus de mondialisation des échanges 1. Dans le même genre, comment ne pas évoquer le bilan tiré par Jean-Claude Daumas sur la renaissance européenne du capitalisme familial dans la grande entreprise 2. Deux phénomènes cruciaux pour l'objet d'étude présenté ici et qui auraient avantageusement permis de monter en généralité un événement strictement "swatchien" de prime abord. Deuxièmement, si l'auteur insère parfaitement son objet d'étude dans la pluri-dimensionnalité des marchés haut de gamme (luxe exclusif et luxe accessible), il évoque la notion du district industriel en omettant les deux seules études en la matière, soit les ouvrages de Patrick Linder 3 et d'Hélène Pasquier 4. Ceci dit, Pierre-Yves Donzé reste prudent lorsqu’il aborde la pertinence du district marshallien : bien qu'extrêmement séduisante, cette approche reste de nos jours aléatoire dans la mesure où elle n'a pas été prouvée de manière catégorique sur la base de sources industrielles, bancaires, syndicales ou techniques 5.

Au niveau factuel ensuite, quatre points méritent discussions. Tout d'abord, un diagnostic historique plus large aurait avantageusement permis de contextualiser l’objet d’étude. Même si, en l’état actuel de la recherche, il est impossible de les quantifier avec précision, il aurait été plus fructueux de procéder à un inventaire objectif et structuré des facteurs endogènes (état de la recherche et développement ; obsolescence du parc industriel ; inadaptation des réseaux de distribution ; héritage cartellaires) et exogènes (chocs pétroliers ; évolution des taux de change sur les différents marchés ; concurrence nipponne) agissant avec une intensité différente sur l’espace et le temps horlogers.
Deuxièmement, l'auteur présente le développement international des activités du groupe Swatch sans pour autant le lier avec la notion de l'établissage. Il aurait été là aussi très intéressant de présenter la globalisation des échanges et la division internationale du système productif à l'aulne d'un concept qui transcende l’histoire de l’horlogerie helvétique. Résistant à l'industrialisation, à la cartellisation, à la libéralisation et à l'internationalisation des échanges, l’établissage demeure plus que jamais une réalité d’une complexité difficile à analyser 6. A nos yeux, la délocalisation partielle des activités horlogères n'est que l'expression d'une internationalisation de la pratique de l'établissage dont les limites sont dictées par la norme du Swiss made. Dans ce cadre, et pour autant que les archives le permettent (notamment celles de la Feuille officielle suisse du commerce), il aurait été fécond de présenter l’évolution de la stratégie du groupe par le prisme des rachats de fournisseurs, que ceux-ci soient actifs dans l’industrie du mouvement ou dans celle de l’habillage.
Troisièmement, l'historien présente les années précédant la création du conglomérat Swatch comme étant inédites dans l'histoire du secteur : "la rationalisation des moyens de production dans l'industrie horlogère suisse telle qu'elle est poursuivie au cours des années 1985-1998 est à n'en pas douter un phénomène nouveau dans cette branche industrielle par l'ampleur des restructurations opérées" (p. 48), ou encore "les rationalisations réalisées jusque-là par diverses entreprises, comme Tissot au Locle durant l'entre-deux-guerres, se limitaient généralement à l'échelle d'une seule firme, voire d'un groupe de firmes, et l'impact à l'échelle de l'organisation industrielle dans son ensemble était ainsi très limité" (p. 49). Force est de constater que les restructurations décrites par l'auteur sont certes très importantes mais de loin pas inédites dans l'histoire du secteur. Certaines publications 7 font référence au processus de rationalisation des années trente et ses conséquences sociales dans un contexte économique particulièrement tendu 8. Une tendance confirmée par les récentes études sur la période 1931-1941, dévoilant un processus massif, accompagné de redéfinitions technologiques dans le secret des bureaux techniques et des écoles d’horlogerie 9. Ainsi, loin d'être exceptionnels, les phénomènes de redéfinition du patrimoine industriel et de démarcation des calibres n'est que la répétition d'un processus général d'optimisation managériale ancien 10, phénomène qui se renforce durant les années d'après-guerre 11.

Pour terminer, on regrettera que les références à l'histoire de la Swatch et à l'importance de la ville de Granges ne soient pas insérées à cette séduisante synthèse 12. Ce faisant, Pierre-Yves Donzé aurait pu, mieux encore, mettre en évidence la double situation de la filiale soleuroise ETA dans la formidable trajectoire du groupe biennois : position historique d'un côté, car lieu de création de la Swatch et position stratégique de l'autre, car manufacture pourvoyant en calibres plusieurs marques de la holding. Autant de paramètres qui nous conduisent à rendre la parole à l'auteur (p. 7) : "l’horlogerie est une industrie qui reste largement méconnue" !

Notes:
1 SCHNYDER Gerhard, LÜPOLD Martin, MACH André et DAVID Thomas, The Rise and Decline of the Swiss Company Network during the 20th Century, Lausanne, Université de Lausanne Institut d'études politiques et internationales, 2005, p. 37 ss.
2 DAUMAS Jean-Claude (dir.), Le capitalisme familial : logiques et trajectoires. Actes de la journée d’études de Besançon du 17 janvier 2002, Besançon, Presses universitaires franc-comtoises, 2003, 252 p.
3 LINDER Patrick, De l’atelier à l’usine : l’horlogerie à St-Imier (1865-1918). Histoire d’un district industriel. Organisation et technologie : un système en mutation, Neuchâtel, Editions Alphil, 2008, 314 p.
4 PASQUIER Hélène, La "Recherche et Développement" en horlogerie. Acteurs, stratégies et choix technologiques dans l’arc jurassien suisse (1900-1970), Neuchâtel, Editions Alphil, 2008, 503 p.
5 DAUMAS Jean-Claude, "Districts industriels : du concept à l’histoire. Les termes du débat", in : BARJOT Dominique (dir.), Où va l’histoire des entreprises ?, Paris, Presses de Sciences po, 2007, pp. 131-152.
6 BLANCHARD Philippe, L'établissage : étude historique d'un système de production horloger en Suisse (1750-1950), Chézard-Saint-Martin, Editions La Chatière, 2011, 303 p.
7 NICOLET Georges, Au cœur du temps : Nivarox – FAR, 150 ans d'histoire, Le Locle, Nivarox-FAR, 2000, 153 p.
8 PERRENOUD Marc, Les relations entre socialistes et communistes dans le canton de Neuchâtel (1931-1937), Neuchâtel, Université de Neuchâtel, 1981, 232 p. et PERRENOUD Marc, "Entre la charité et la révolution. Les Comités de chômeurs face aux politiques de lutte contre le chômage dans le canton de Neuchâtel lors de la crise des années 1930", in : BATOU Jean (et al.), Pour une histoire des gens sans Histoire : ouvriers, exclues et rebelles en Suisse 19e-20e siècles, Lausanne, Editions D'En Bas, 1995, pp. 105-120.
9 BOILLAT Johann, Les véritables maîtres du Temps : le cartel horloger suisse (1919-1941), Neuchâtel, Editions Alphil, 2013 (à paraître).
10 LEIMGRUBER Matthieu, Taylorisme et management en Suisse romande (1917-1950), Lausanne, Editions Antipodes, 2001, 183 p.
11 ERARD David, Les concentrations dans l’industrie horlogère suisse : l’exemple de la manufacture de montres Zenith au Locle (1945-1972), Neuchâtel, 2008, 175 p.
12 CARRERA Roland, Histoire de la Swatch, Bienne, Editions Antiquorum, 1991, 111 p. et CARRERA Roland, Swatchissimo 1981-1991. L’extraordinaire aventure Swatch, Genève, Editions Antiquorum, 1991, 511 p.

Citation:
Johann Boillat: Compte rendu de: Pierre-Yves Donzé, Histoire du Swatch Group, Nauchâtel, Editions Alphil, 2012.

Redaktion
Veröffentlicht am
20.03.2013
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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